Ostéopathie et évolution des pratiques : les 5 principes de l'ostéopathie toujours d'actualités ?
- Lucile GROMEK
- 9 déc. 2024
- 9 min de lecture
Dernière mise à jour : 18 janv.
Est-ce toujours de l'ostéopathie ?
On m'a demandé :
"Et si on met de côté les principes fondateurs de l'ostéopathie, peut-on toujours appeler ça de l'ostéopathie ?"
C'est un débat qui revient souvent dans les communautés ostéopathiques et les médias. C'est un sujet qui me semble suffisamment complexe pour mériter qu'on le développe avec plus de caractères qu'une story Instagram ne peut comporter.

Sommaire
De quoi parle-t-on ?
Les 4 (ou 5) principes fondateurs de l'ostéopathie ?
Si on en croit les écrits, Andrew Taylor Still aurait fondé l'ostéopathie en 1874. Plus tard il aurait évoqué les principes fondateurs de la pratique ostéopathique (les 4 ou 5 principes de l'ostéopathie selon les versions) (1, 2) :
Traditionnels (1) | Selon l'OMS (2) |
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Qu'est ce que tout ça veut dire concrètement ?
L'interprétation des ostéopathes traditionnels pourrait être :
La structure gouverne la fonction → donc remédier à des troubles de la structure du corps induirait des changements sur la fonction du corps humain et inversement.
Le corps humain est un ensemble : corps, mental et âme sont indivisibles → il faut tout prendre en compte, ne rien laisser de côté.
Le corps humain est capable de se réparer, de s'adapter, de se défendre ou de compenser ses défauts → l'ostéopathie stimulerait les capacités d'auto-régulation des patients en retirant des obstacles qui auraient entravés ces dit mécanismes.
La circulation sanguine apporte oxygène, défense et nutriments aux différentes structures du corps → rétablir une bonne circulation du sang permettrait aux tissus de fonctionner à nouveau normalement.
Analyser la situation
Lorsqu'on me demande si on peut toujours parler d'ostéopathie si on met de côté ses principes fondateurs je comprends que c'est quelque chose qui semblerait souhaitable. Y aurait il un problème avec les principes fondateurs ? Les principes fondateurs seraient ils néfastes, faux ou inutiles ? Et serait-ce vrai pour chacun d'entre eux ou seulement certains ?
Que se passe-t-il avec les principes fondateurs ?
Le véritable reproche que j'ai à faire à ces principes fondateurs ce n'est non pas ce qu'ils déclarent, c'est principalement la manière dont ils sont utilisés.
Beaucoup de principes semblent avoir bon fond : la structure et la fonction d'un organe sont en interrelation. En effet, des cellules rénales qui prendraient une forme d'intestin fonctionneraient elles de manière optimale ? Un muscle qu'on changerait de place jouerait il toujours le même rôle ? En revanche il est certainement exagéré de déclarer que remédier à des "troubles de la structure du corps" induirait le plus souvent des changements (et en plus sous-entendu toujours bénéfiques au patient) sur la fonction du corps humain et inversement.
Le corps semble effectivement fonctionner comme un ensemble, aujourd'hui on a de fortes raisons de croire que la douleur est multifactorielle et que le corps humain semble indivisible de l'esprit. Toujours est il que tout prendre en compte n'est pas toujours souhaitable ni possible. Je pense également que ce précepte a subit de nombreuses interprétations et extrapolations de la part des ostéopathes. Par exemple, il semble assez probable que l'auto-efficacité à la douleur soit en lien avec l'intensité des douleur (3), en revanche il semble peu probable qu'une raideur de l'articulation talo-naviculaire soit directement en lien avec des maux de tête (jamais observé de lien probable) (4).
Le corps humain a des capacités d'homéostasie et de guérison (système immunitaire, adaptation aux stress mécanique, système de régulation du pH sanguin etc.). Ceci est vrai dans une certaine mesure et à moduler selon l'état de santé du patient. Selon moi, il est en revanche déraisonnable de déclarer que l'ostéopathie stimulerait les capacités d'auto-régulation des patients en retirant des obstacles qui auraient entravé cesdits mécanismes. De plus, cette déclaration peut sous-entendre que l'intervention de l'ostéopathe est une condition sine qua non au rétablissement du corps.
Les structures vivantes du corps humain ont besoin d'être nourries pour fonctionner normalement. A l'instar des exemples précédents nous devrions interpréter ce principe avec précaution :
De nombreux problèmes de vascularisation sont d'ordre médical (athérosclérose, thrombose, phlébite, complications vasculo-nerveuses du diabète...).
Lorsque le problème de circulation a une progression lente et que le corps humain fonctionne normalement, il a la capacité de s'adapter en créant de nouveaux vaisseaux sanguins (sans aucune intervention extérieure).
Le mouvement et notamment l'activité physique aide naturellement la circulation du sang au sein des vaisseaux.
Il semble donc trompeur de déclarer que l'ostéopathie en elle même aurait un impact significatif sur la circulation du sang et que c'est par ce mécanisme qu'elle est efficace. Ce principe n'est donc pas faux en soit mais il n'a sûrement pas autant de lien qu'on le pense avec la pratique de l'ostéopathie.
Selon moi, un certain nombre de problème viennent donc de l'interprétation, de l'extrapolation et de la généralisation des principes fondateurs par les ostéopathes.
Le dogmatisme
Des principes sensationnalistes, qui seraient vrais en tout temps et en toutes circonstances sont un problème majeur quand on s'occupe du corps humain qui est plein de subtilités. Ces principes ne sont pas sans rappeler des dogmes. Selon la définition de Wikipédia, un dogme est une affirmation considérée comme fondamentale, incontestable et intangible formulée par une autorité politique, philosophique ou religieuse (5). Quelque chose qu'il est n'est pas possible de remettre en question en somme.
Quel est le danger d'avoir des principes immuables ? Tout d'abord, le risque est d'être face à l'impossibilité de changer d'avis même lorsqu'on nous montre que ce qu'on considère vrai semble en réalité faux. Persister dans l'erreur serait donc le principal péril d'un enseignement dogmatique.
Les principes fondateurs ont été énoncés à une époque bien différente de la notre, où religion et médecine étaient souvent en lien. A cette époque se faire soigner par un médecin avait plus de chance de tourner au désastre qu'au succès. Depuis nous avons fait de nombreuses découvertes dans tous les domaines de la recherche. Il serait donc remarquable que Still à l'époque où il a réfléchit à la philosophie de l'ostéopathie n'ait aucunement fait fausse route.
L'ostéopathe s'adresse à des patients. Refuser de changer d'avis et persister dans l'erreur serait donc une mise en danger potentielle du patient (que le risque soit important ou faible). Pourtant, il semble évident que l'intérêt du patient est au premier plan dans le soin.
L'évolution des pratiques
En ostéopathie
Certains sont d'opinion que la pratique de l'ostéopathie, pour garder cette appellation, doit rester proche de celle de ses débuts. Outre le fait que nous n'ayons que très peu d'éléments probants permettant d'attester de la manière dont travaillait Still à l'époque, la pratique de l'ostéopathie n'a en réalité pas cessé de changer depuis sa fondation. Pourtant on l'appelle toujours "ostéopathie".
En vérité, on peut noter des évolutions à bien des égards depuis sa création :
De nouvelles pratiques ont émergé courant des années 1900, elles sont encore aujourd'hui communément enseignées aux ostéopathes (viscéral, crânien) (6, 7),
Les décrets de formation (8) et d'encadrement des pratiques (9) ont nécessairement fait changer la pratique des ostéopathes : obligation d'orienter les patients si besoin d'un recours médical, législation autour des actes et des pratiques,
On peut citer des différences législatives et de statut professionnel selon les pays,
Les techniques utilisées par les ostéopathes suivent sans aucun doute des modes selon les époques et les lieux (10),
Les nouvelles découvertes médicales induisent forcément des changements dans la manière de travailler des ostéopathes d'aujourd'hui (Ex : nouveaux soins médicaux, nouvelles études etc).
Dans d'autres disciplines
Il serait naïf de penser que l'ostéopathie est la seule profession à évoluer avec son temps. La kinésithérapie a tout d'abord été en grosse partie de la gymnastique médicale, elle a également beaucoup pratiqué le massage (11). Les pratiques kiné ont depuis évoluées (diversification, spécificité d'exercice, précisions...). La médecine ne parle plus de la théorie des humeurs (12)... Et bien heureusement car nous avons compris qu'elle n'était pas fondée. Aujourd'hui nous avons trouvé de nouvelles manières d'expliquer les maladies et ceci nous a permit de les traiter plus efficacement. Pourtant, en 2024 en France, la médecine s'appelle toujours médecine et la kinésithérapie s'appelle toujours kinésithérapie.
L'EBP c'est nouveau ?
La nouveauté ça déplait souvent. Mais la pratique basée sur les preuve (EBP : Evidence Based Practice) est-elle nouvelle ? En réalité pas tant que ça, le terme a été introduit en 1991 par Dr. Gordon Guyatt dans la littérature scientifique médicale (13). La médecine d'aujourd'hui a volonté de baser sa pratique sur les preuves scientifiques pour un meilleur soin des patients. La méthode scientifique est la manière la plus fiable aujourd'hui pour s'approcher de la réalité. Utiliser des méthodes statistiques avancées permet de conclure à des tendances et de les généraliser à une situation ou une population donnée.
La méthode scientifique nous permet de réduire au maximum le risque de biais qui est au contraire très présent lorsqu'on parle d'expérience personnelle (14).
Cette méthode est largement utilisée aujourd'hui en médecine car elle est le meilleur moyen de maximiser la sécurité des usagers.
Se dire Evidence Based ça signifie que notre pratique Repose sur les Preuves.
Si on retire les fondations d'une maison, elle s'écroule.
Si votre pratique peut tantôt se reposer sur des preuves et tantôt les ignorer, alors on peut en conclure qu'elle n'est pas Evidence Based.
Elle ne REPOSE donc pas sur les preuves. On peut tout au plus dire qu'elle s'en sert quand ça l'arrange.
Pour pallier aux manques de la science, il est normal de composer avec sa propre expérience. Cela fait partie intégrante de la consultation. En revanche il faut mesurer la qualité de ces informations. Du fait de notre facilité à avoir des biais (14), il faudrait rester prudent et mesuré lorsqu'on s'appuie sur des connaissances issues de notre expérience.
Utiliser son propre savoir pour pratiquer nécessite en principe d'avoir au préalable recherché une information et d'avoir manqué à la trouver. En revanche, investiguer et trouver une information, puis chercher à tout prix à la réfuter car elle nous déplait n'est pas une réaction raisonnable. Une seule information contredisant notre expérience n'est peut-être pas suffisante pour changer notre opinion et cela semble normal. Dans cette situation, il faudrait plutôt l'implémenter à notre raisonnement et venir nuancer notre avis.
Des enseignements EBP
Dans les écoles, la formation en ostéopathie se tourne de plus en plus vers la Pratique Basée sur les Preuves (EBP). Et pour cause, les décrets de formations (8) sont écrits dans ce sens. S'il est possible aux ostéopathes d'utiliser la méthode scientifique pour apprendre l'anatomie, la physiologie et la sémiologie médicale ; si les principes fondateurs ne sont pas des dogmes et qu'ils peuvent être mis à jour :
Pourquoi serait il impossible pour eux de pratiquer majoritairement en accord avec les données de la science ?
Devrions nous changer de nom ?
Certaines personnes se demandent si nous devrions changer d'appellation. Nous avons vu qu'il était possible de changer de pratique et de pourtant garder le même nom. Même si garder ce nom semble possible, j'aimerai tout de même me demander si cela est souhaitable. Au lieu de conclure hâtivement il serait plus sage de peser le pour et le contre, les bénéfices et les risques.
Voici ma réflexion :
Pour/bénéfices | Contre/risques |
Montrer une scission pratique dogmatique/non dogmatique aux patients | Changement des repères des usagers/possible confusion |
Se démarquer, montrer son opposition aux collègues | Formalités administratives |
Pas de changement flagrant pour les usagers en pratique | |
Pour répondre à la question initiale :
C'est plutôt leur interprétation que les fondements en eux même qui me semble problématique,
Garder une pratique dogmatique c'est surtout faire courir des risques inutiles aux patients,
D'autres disciplines ont subit des changements en gardant le même nom,
Je considère que changer le nom de la profession ou de la pratique n'aurait pas grand intérêt,
Garder ce nom ne nous empêche foncièrement pas d'évoluer vers le mieux.
On peut donc probablement continuer d'appeler notre pratique de l'ostéopathie.
J'espère que cet article aura su éveiller ou nourrir une réflexion personnelle.
Merci de m'avoir lue. Prenez soin de vous.
Références :
Ostéopathie, Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Ost%C3%A9opathie
World Health Organization, « Benchmarks for training in traditional / complementary and alternative medicine : benchmarks for training in osteopathy »
Martinez-Calderon, J., Zamora-Campos, C., Navarro-Ledesma, S., & Luque-Suarez, A. (2018). The Role of Self-Efficacy on the Prognosis of Chronic Musculoskeletal Pain: A Systematic Review. The Journal of Pain: Official Journal of the American Pain Society, 19(1), 10-34. : DOI: 10.1016/j.jpain.2017.08.008
Diego F. Hidalgo, Andrew MacMillan, Oliver P. Thomson,
‘It's all connected, so it all matters’ - the fallacy of osteopathic anatomical possibilism,
International Journal of Osteopathic Medicine, Volume 52, 2024, 100718, ISSN 1746-0689 : https://doi.org/10.1016/j.ijosm.2024.100718.
Dogme, Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Dogme
L'ostéopathie viscérale, Rapport CORTECS, octobre 2016 : https://ordremk.fr/wp-content/uploads/2018/03/osteopathie-viscerale-rapport-cortecs-2016.pdf
L'ostéopathie crânienne, Rapport CORTECS, octobre 2015 : https://www.ordremk.fr/wp-content/uploads/2016/01/CorteX-CNOMK_osteo_cranienne_Janvier2016.pdf
Référentiel de formation en ostéopathie, Ministère des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, BO Santé – Protection sociale – Solidarité no 2014/11 du 15 décembre 2014, Page 233, ANNEXE III : https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000029894161/
Décret n° 2007-435 du 25 mars 2007 relatif aux actes et aux conditions d'exercice de l'ostéopathie : https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000462001
Global review of osteopathic medicine and osteopathy, Osteopathic International Alliance, 2020 : https://oialliance.org/wp-content/uploads/2021/02/OIA_Report_2020_FINAL.pdf
Histoire de la kinésithérapie, Ordre des masseurs-kinésithérapeutes : https://nouvelleaquitaine.ordremk.fr/histoire-de-lordre/
Théorie des humeurs, Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9orie_des_humeurs
Roger L. Sur et Philipp Dahm, « History of evidence-based medicine », Indian journal of urology: IJU: journal of the Urological Society of India, vol. 27, no 4, octobre 2011, p. 487–489 (ISSN 1998-3824, PMID 22279315, PMCID 3263217, DOI 10.4103/0970-1591.91438
Biais cognitifs, Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Biais_cognitif
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